samedi 16 février 2013

Perspectives



En tant qu’initiateur et principal auteur de Chiaroscuro, il me semblait utile d’exposer un certain nombre de choses. Je m’excuse cependant par avance, comme beaucoup d’auteurs, j’ai tendance à débiter du signage au kilomètre ;)

Comme cela a déjà été sommairement abordé dans la Présentation du projet Chiaroscuro, le but n’est pas de concevoir un jeu avec un thème central induisant fortement la construction des personnages, mais de partir de quelques idées pour ensuite élargir et diversifier les choses, jusqu’à concevoir un univers aussi riche et multiple que possible.

Dans cette idée, l’Empire de Celalta et la Ligue qui en a fait récemment scission sont le premier jalon de ce processus. Même si d’ors et déjà on mentionne d’autres cultures et civilisations (les brumaires, les seifarai, les ikoniens, les déchus, les mearans, les lyrriens…), les célians, à la source de l’Empire et de la Ligue, restent l’élément de référence et la culture que nous allons explorer en détail dans un premier temps. Cependant, cette exploration se fait aussi dans la perspective de chercher à concevoir des axes de jeu afin de renforcer l’intérêt ludique de Chiaroscuro, au lieu d’en faire un cadre essentiellement descriptif richement détaillé et accompagné d’un système de règles.  Les principaux axes de jeu qui sont envisagés à l’heure actuelle procèdent selon une structure architecturale assez évidente :
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          Noblesse
Le premier axe de jeu proposé va s’intéresser surtout aux conséquences politiques de la guerre civile qui a permis l’émergence de la Ligue dix ans auparavant. La campagne test « le Destin des Maranteo » est centrée sur l’avenir d’une petite maison noble, prise dans un complot et dont les membres (à savoir les PJ) vont devoir assurer la survie, voire même l’ascension vers une position plus glorieuse. Aborder de l’intérieur les coutumes et conventions qui régissent les patriciens de l’Empire me permet de décrire et rendre cohérent le contexte social et culturel qui entourera les personnages des joueurs. En développant ce contexte une dizaine d’années après la fin d’une guerre civile, une place importante est également réservée à des concepts comme l’injustice, la rétribution et la vengeance.

Références : A titre d’information, des romans comme « la trilogie de l’Empire » de Raymond E. Feist et la sage de « Dune » de Frank Herbert sont d’excellentes sources d’inspiration pour cet axe, mais je citerais aussi bien évidemment, quand on s’intéresse à la vengeance, notre vieil ami le Comte de Monte Cristo. Enfin, dans un tout autre registre, le manga Kenshin le Vagabond (dans son premier cycle) fait la part belle aux conséquences à long terme que peuvent avoir les actes d’un homme au cours d’une guerre civile… et les relations qu’il entretient avec ses anciens alliés, et ennemis… 

·         Aventures
Un second axe de jeu fortement lié à cette même perspective surtout faite d’intrigues repose sur les condottieri, les gentilshommes de fortune. Mercenaires, nobles déchus ou gens du peuple ambitieux, on en revient au concept du groupe d’aventuriers, aux prises avec les désirs de puissants mécènes et les conflits d’intérêts. Cet axe n’est pas développé explicitement à l’heure actuelle dans mon idée, mais le système de création de personnages et la description du contexte visent à permettre à un meneur de l’employer sans aucune difficulté, en l’entrelaçant s’il le souhaite avec l’axe noble. Ou au contraire, d’en rester au concept d’aventuriers itinérants, qui vont peut-être s’efforcer d’obtenir une position sociale officielle ou une influence officieuse en se trouvant des alliés utiles et en faisant leur trou. La littérature et les références, rôlistiques ou non, sont très nombreuses en la matière, et il s’agit certainement de l’axe de jeu qui demandera le moins d’adaptations aux meneurs et qui offrira le plus de transpositions possibles. En fait, il est tout simplement induit par le fait même qu’on s’intéresse à… du jeu de rôles. Si vous espériez un soupçon d’innovation dans ce domaine, ma foi… je crois que vous allez être déçus ;)  

·         Frontières
Les deux axes « noblesse » et « aventures » quant à eux peuvent se connecter facilement à ce troisième axe. Dans les franges occidentales de l’Empire, on trouve par exemple la marche brumaire, où des colons tentent depuis plusieurs générations de prospérer, au voisinage des tribus hostiles ou réticentes à embrasser la culture des étrangers. Cet axe éloigne sensiblement les PJ des régions civilisées et les place face à des enjeux liés à des impératifs de survie, d’accaparement de certaines ressources, de choc culturel et de voisinage. Nobliaux sans avenir, colons industrieux, amateurs d’exotisme, criminels en fuite, métis barbares, transfuges, missionnaires, explorateurs, conquérants en herbe constituent autant de possibilités (et de divergences d’intérêts) parmi les plus évidentes pour créer des personnages. Ils seront livrés à eux-mêmes et devront nouer de fructueuses alliances tout en prenant garde à des opposants qui peuvent être aussi bien issus de leur propre culture qu’étrangers. On peut trouver une perspective de développement similaire, avec une autre touche d’exotisme, dans le Pays Déchu au nord de la Ligue, région disputée par cette dernière ainsi que par quelques puissances locales dont la puissante Eglise Séraphique, tandis que les descendants des clans originels tentent de survivre après des siècles de conquête et de disputes qui ont éradiqué jusqu’à leurs racines culturelles. Pour les amateurs d’aventures maritimes, l’archipel de la Mosaïque avec ses deux ethnies locales et ses innombrables ilots constitue également un terrain d’action intéressant.

Références :  on peut citer plusieurs des nouvelles de Robert Howard, notamment dans le cycle de Conan durant ses aventures dans les terres pictes (au-delà de la rivière noire, lune de sang…) mais aussi à travers les aventures de ses personnages Bran Mak Morn et Cormac McFitzGeoffrey. Pour les collectionneurs de vieux jeux de rôle, on peut aussi trouver des choses intéressantes dans la gamme Thieves’ World (avec la cité frontalière de Sanctuary, à la fois isolée et très impliquée dans les affaires de haute politique) ou la mini-campagne Borderlands pour le jeu Runequest (dans laquelle les PJ sont employés par un noble lunar qui tente d’implanter son domaine au cœur des terres barbares). Je trouve ces vieux ouvrages très « old school » mais ils ont conservé un certain charme et la personne dont vous lisez les mots aujourd’hui s’en était nourrie pour tout autre chose il y a bien longtemps ;)

·         Exotisme
De la même manière qu’une présentation détaillée et exhaustive des cultures céliannes (Celalta et la Ligue) est développée à l’heure actuelle, mon intention est d’aborder par la suite plus en profondeurs les autres peuples. Évidemment, ceux qui sont déjà impliqués dans l’axe des frontières voient leur traitement induit d’office et il sera probablement assez détaillé. Cependant, l’exotisme ne se trouve pas seulement aux franges des terres céliannes. Des étrangers (mercenaires, négociants, esclaves, diplomates…) séjournent également dans les terres de l’Empire ou de la Ligue, et ils représentent autant d’occasions d’aborder d’autres coutumes, d’autres mœurs. Enfin, il y a l’exotisme propre à la culture célianne elle-même. Bien que fortement teintée d’antiquité gréco-romaine et de moyen-âge italien, cette culture – notamment à travers certaines coutumes et plus particulièrement les croyances religieuses qui l’imprègnent – n’est pas dépourvue d’aspects dépaysants. En résumé, l’exotisme concerne aussi bien le cadre familier des personnages (mais pas des joueurs…) que les rapports noués avec des représentants de peuples étrangers. Chiaroscuro s’attache à développer un monde ou les humains sont l’élément central, mais petit à petit, par touches progressives, je m’attacherais à ajouter des créatures plus fantastiques, en veillant à chaque fois à leur impact sur les concepts existants, de manière à rendre le monde plus riche sans qu’il devienne plus incohérent. L’exotisme endogène et exogène est à mes yeux la principale « couleur » de Chiaroscuro, pour le dire explicitement. En essayant de jouer à la fois sur la familiarité et l’étrangeté.

Références : Ma principale muse en la matière est tout simplement mon auteur favori depuis des décennies, Jack Vance. Chiaroscuro (et plus généralement une bonne partie de mes travaux d’écriture et de rôle depuis très longtemps) doivent énormément à cet auteur découvert par hasard durant mon adolescence. Je ne saurais trop recommander le cycle de Lyonesse et celui de la Terre Mourante, pour les amateurs de civilisations historiques revisitées ou de cultures franchement étranges. Mais dans une moindre mesure, toute l’œuvre de Vance, y compris les aventures spatiales de certains de ses héros, repose sur l’exposition de ses personnages à des coutumes, des mœurs, des contraintes qui peuvent être celles de leur propre société ou imposées par le cadre dans lequel leurs aventures les feront évoluer. La geste des princes démons, Emphyrio, un monde d’azur, le cycle de Durdane par exemple abondent en anecdotes sur la relativité des valeurs et des croyances. 

·         Mystère
Chiaroscuro ne se veut pas un « jeu à secrets » mais cela ne signifie pas qu’il en est dépourvu. Certains font ou feront l’objet d’un traitement détaillé à l’intention des meneurs, d’autres se verront exposés à travers plusieurs alternatives possibles. Elles permettront ainsi au meneur de conserver le cadre présenté, mais d’en définir ses propres coulisses en fonction de ses besoins. Dans le même temps, ces « secrets » n’ont pas à être exploités ni même abordés si on ne le désire pas. Ils ne sont pas le cœur du contexte, juste un de ses éléments constitutifs. Certains sont faits pour être découverts si on les emploie, d’autres servent juste à fournir au meneur une perspective de réflexion pour ses propres travaux. A l’inverse, si l’on lie cet axe aux précédents, tout ce qui concerne des secrets plus prosaïques (savoirs techniques ou ésotériques, crimes dissimulés, implication de factions occultes ou connues dans certains évènements…) peut facilement être mélangé et donner du liant, ou même des perspectives de jeu, dans Chiaroscuro. Un simple secret politique ou magique peut constituer à lui seul un enjeu majeur, voire central, dans une campagne qui peut aussi bien concerner des patriciens que des plébéiens, se dérouler au cœur de la cité de Celalta ou au fin fond des terres brumaires, par exemple. Certains secrets peuvent avoir un impact considérable, par les possibilités ou simplement les révélations qu’ils offrent. L’Eglise Séraphique garde certainement à l’abri les techniques qui provoquèrent l’invocation des Grands Séraphins et la destruction de l’archipel d’Ikonia, à moins que certains des descendants de cette nation autrefois puissante soient à la recherche de cet ancien pouvoir. On sait par ailleurs que les Seifarai d’au-delà des mers pratiquaient une magie noire terrifiante, avant de sombrer doucement dans la décadence. Et si les frontières de l’Empire jouxtent la grande forêt de Primasilva, personne depuis plus d’un millénaire n’est parvenu à s’aventurer jusqu’en son cœur, là où résiderait Mère Sylve… mais il existe aussi des secrets plus à la portée de bien des gens, et donc bien plus susceptibles de créer des complications. Chacune des écoles qui enseigne la magie quarte crée ses propres sortilèges dont elle veut conserver le monopole, par exemple. Et ne parlons pas, dans un tout autre domaine, de tous les squelettes qui se cachent dans les placards des maisons nobles de l’Empire et de la Ligue, dont certains remontent à bien avant la guerre civile. La manière dont on amène certaines découvertes ou révélations est souvent tout aussi importante, si ce n’est plus, que leur nature.

Références : je citerais deux cycles de romans heroic-fantasy très bien conçus sur le principe de la révélation majeure : l’arcane des épées (Tad Williams) et les royaumes d’épine et d’os (Gregory Keyes). Cependant, les amateurs de crimes surnaturels (ou présentés comme tels) ou d’aventures plus policières pourraient trouver pas mal de choses intéressantes dans les romans médiévaux de Serge Brussolo (notamment le château des poisons et l’armure de vengeance). 

En conclusion
Chiaroscuro est envisagé de manière à permettre des aventures épiques à ceux que cela intéresse. Par « épiques » il faut entendre que les joueurs peuvent peser sur le destin d’une nation, voire davantage, ou découvrir des choses qui leur donneront un ascendant considérable et que leur impact pourrait bien changer définitivement une partie du contexte en profondeur. Cependant, cette perspective épique n’est pas du tout un pré-requis et je travaille dans l’idée qu’il est également souhaitable de jouer à des « niveaux » plus modestes, autant en prélude à des campagnes épiques que pour rester à un certain « niveau » d’impact lorsque les joueurs agissent, ou n’agissent pas. Le contexte est décrit de manière à montrer qu’un tas de choses vont certainement, ou risquent probablement, de se produire dans un avenir proche… mais elles n’ont rien d’obligatoire. Le jeu peut tout aussi bien placer les PJ au cœur de certains évènements majeurs, que s’intéresser à leurs choix plus personnels, laissant les histoires de nations ou de révélations en tâche de fond, voire dans l’obscurité la plus complète si elles n’intéressent pas le meneur ou les joueurs. Il s’agit juste de possibilités, d’opportunités. A utiliser, ou pas.
C’est une démarche de création menée quasiment en solo, bien que nourrie par les retours du reste de l’équipe et des joueurs impliqués dans les tests menés depuis plusieurs mois. A ce jour, je suis bien incapable de certifier que tout cela répondra à mes attentes, sans parler des vôtres. Mais j’ai l’impression d’aller plutôt dans la bonne direction …
Il faut simplement aller de l’avant, me nourrir des retours qui me sont faits durant les démos ou les échanges avec d’autres rôlistes, revenir tranquillement sur certains points et les changer si nécessaire.
Et puis, au final… nous verrons bien ce qu’il en ressortira ;)

2 commentaires:

  1. Toujours contente de voir comment ta réflexion se développe ! Je note donc : noblesse, exotisme, frontière et mystère ;-) ... Exotisme & frontière ne sont-ils pas un peu proches ? ... si on ajoute que le mystère & les terres inconnues & exotiques ça semble aller bien ensemble... j'aurais tendance à voir l'univers comme approprié au voyage d'un groupe de nobles vers des terres & civilisations inconnues et mystérieuses ... quoi il ne fallait pas tout cumuler dans une seule chronique ? ... :-P
    Sinon une aide à la conception de chroniques & intrigues pour mettre en jeu ces thèmes, ça pourrait être bien ... dans le futur ;-)

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  2. salut, toi :) Pour te répondre, on peut effectivement trouver plein de similitudes entre l'exotisme et le voyage, mais je pense que le dépaysement en jouant dans une culture "familière mais différente" avec ses idiosyncrasies, peut aussi être de l'exotisme.

    Je n'ai pas encore songé à déplacer des nobles vers de nouveaux horizons, mais ça pourrait être un enjeu intéressant sur la thématique "allez donc vous établir au bout de nulle part" (il y a d'ailleurs le vieux film "the war lord" avec Charlton Heston qui est assez intéressant dans ce genre) ou même "fuyez très loin avant qu'on vous rattrappe". Tu vois, on peut effectivement cumuler ;)

    Pour les aides de jeu, j'en suis pas encore là, comme tu dis "dans le futur" ;)

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